Le 23 mars 2022, a été promulguée une ordonnance visant à établir un régime de responsabilité unique des comptables publics et des ordonnateurs.
Sans remettre en cause le principe de leur séparation, cette réforme vise à unifier leur régime de responsabilité auparavant distinct.
L’ordonnance justifie la réforme par le peu d’efficacité des systèmes actuels en la matière. Il peut sans peine être rappelé les faibles conséquences des mises en débet des comptables publics auxquels s’ajoute une concentration de fait, des contrôles sur des manquements sans enjeu. Côté ordonnateur, relevant de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), les sanctions sont rares (moins de 10 arrêts par an).
La réforme s’inscrit dans le cadre du programme action publique 2022.
Le nouveau régime, applicable au 1er janvier 2023, concernera ainsi l’ensemble des gestionnaires publics, qu’ils exercent des fonctions d’ordonnateur ou de comptable. Sont donc concernés, d’une part, les ordonnateurs actuellement justiciables de la CDBF, à l’exclusion des ministres et des élus, et d’autre part, l’ensemble des comptables publics.
En quoi consiste ce nouveau régime ?
Il vise à réserver l’intervention du juge aux infractions les plus graves ayant entraîné un préjudice financier significatif. La faute devra être commise dans le cadre de l’exécution des recettes et des dépenses et celui de la gestion des biens des entités publiques. L’ordonnance précise que les fautes de gestion, correspondant à des agissements manifestement incompatibles avec les intérêts de l’organisme, à des carences graves dans les contrôles ou à des omissions ou négligences répétées dans le rôle de direction, dès lors que ceux-ci ont occasionné un préjudice financier significatif, seront sanctionnées.
La gestion de fait demeure. Les sanctions seront prononcées à l’encontre de l’auteur des faits, qu’il soit ordonnateur ou comptable, sauf s’il a agi sur instruction d’un supérieur hiérarchique qui n’est pas justiciable (ministres et élus locaux). Enfin, ce nouveau régime s’appuiera sur un dispositif de sanctions graduées et plus adapté à la nature des fautes à sanctionner. Ainsi, des amendes seront prononcées et applicables à l’ensemble des justiciables. Elles ne seront ni assurables ni rémissibles et leur montant sera calculé en fonction de la rémunération des agents concernés et sera plafonné à six mois.
Quelles instances juridictionnelles ?
Il est créé une juridiction ad hoc auprès de la Cour des comptes qui pourra être saisie par les présidents des assemblées parlementaires, le Premier ministre, le ministre du budget, les autres ministres sur les ordonnateurs de leurs domaines de compétence, la Cour et les chambres régionales des comptes, les procureurs de la République, le préfet ou le directeur des finances publiques pour des faits n’impliquant pas des ordonnateurs de l’État, les exécutifs élus des collectivités territoriales, les chefs des services d’inspection, les commissaires aux comptes ou le procureur général près la Cour des comptes de sa propre initiative.
En première instance, une unique chambre, associant magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, aura compétence pour juger les gestionnaires publics. L’appel se fera devant une cour d’appel financière, présidée par le premier président de la Cour des comptes. Enfin, le Conseil d’État restera la juridiction de cassation.
Quelles questions peut poser cette réforme ?
La réforme de la responsabilité des gestionnaires publics poursuit la transformation managériale de la fonction publique, en accentuant la responsabilité de ses managers mais en recherchant dans le même temps des simplifications et en dégageant des marges de manœuvre. Cette réforme n’a ni pour objet ni pour effet de faire disparaître les grands principes de l’organisation de la gestion financière publique, à commencer par la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable.
La séparation des ordonnateurs et des comptables est réaffirmée, la gestion de fait demeure et le comptable public dispose du droit de réquisition qui devient d’ordre législatif, tout en ayant une possibilité de signalement (signalement possible de « toute opération susceptible de relever d’une infraction, sanctionnée par le juge financier, aux règles d’exécution des recettes et des dépenses »).
Sur cette base, la réflexion doit se porter sur les conséquences de ce dispositif dans le positionnement des acteurs au sein de l’équipe ordonnateur, le relationnel ordonnateur / comptable ainsi que sur la répartition de la responsabilité des deux acteurs au sein de la chaîne financière.
L’ensemble des acteurs en charge des opérations relevant du dispositif doivent être en mesure de pouvoir maitriser les risques de préjudice significatif. De ce fait, la relation partenariale se doit d’être renforcée, les deux acteurs intervenant de concert.
La notion de significativité nécessite également de réfléchir sur les enjeux, de définir en commun les enjeux significatifs. La notion de signalement met l’accent sur la mission de conseil du comptable public et peut conduire au renforcement du partenariat pour se prémunir contre ces risques d’infractions cités par l’ordonnance.
Deux séries de questions peuvent alors se poser :
– Comment faire évoluer les relations entre les acteurs afin de maîtriser le risque ;
– Quel partage de responsabilité entre les acteurs.
L’exposé des motifs de l’ordonnance dispose que le dispositif concerne « l’ensemble des gestionnaires publics et des gestionnaires des organismes relevant du code de la sécurité sociale, qu’ils exercent des fonctions d’ordonnateur ou de comptable c’est-à-dire à la fois les ordonnateurs et les administrateurs actuellement justiciables de la CDBF, à l’exclusion des ministres, des élus locaux qui relèvent d’une responsabilité politique, mais y compris les membres de leurs cabinets et directeurs d’administrations ».
Dans ce cadre, si le préjudice est avéré, une interrogation se fera sur l’acteur en charge de la responsabilité : L’ordonnateur, le comptable, séparément ou ensemble ?
Il précise également que « le justiciable ne sera pas passible de sanctions s’il n’a fait que se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique ou de toute personne habilitée ou s’il peut exciper d’un ordre écrit émanant d’une autorité non justiciable. L’ordre écrit pourra revêtir la forme d’une délibération d’une assemblée délibérante d’une collectivité locale dès lors que l’organe délibérant aura été dûment informé de l’affaire et que la délibération présentera un lien direct avec celle-ci. »
Il convient donc que l’ordonnateur soit en mesure de maîtriser son activité au même titre que le comptable public. Néanmoins, toutes les collectivités sont-elles en mesure/ en capacité de mettre en place un contrôle interne comptable et financier (formalisé ou non) ?
Etant tous deux intervenants d’une même chaîne, le partenariat doit se développer afin d’assurer une sécurisation totale des opérations relevant du dispositif : exécution des recettes et dépenses, gestion des biens.
La connaissance et la maîtrise de son activité est un incontournable dans la mise en œuvre de cette réforme. Ils permettent de s’assurer que la responsabilité des gestionnaires publiques en charge directe des opérations, ne soit pas mise en cause.
Une réflexion doit également impérativement se faire jour, sur l’organisation des travaux entre l’ordonnateur et le comptable. Quel sera le rôle du comptable public ? Au vu de son rôle et de son expérience, peut-il être considéré comme l’acteur conseil dans le dispositif ? Comment intégrera-t-il la notion de signalement dans ses relations avec son ordonnateur ?
L’identification des activités génératrices de risques ne peut-elle conduire à un positionnement différent des acteurs ?
La réforme maintient le principe d’un contrôle spécifique des comptables sur les opérations des ordonnateurs dans la parfaite continuité de la séparation ordonnateur/comptable. Elle peut être un levier pour un repositionnement des acteurs. C’est un défi qu’il nous fait relever collectivement !
Article réalisé par les membres du groupe de travail «Qualité des comptes et certification» de l’AFIGESE