La mission Richard/Bur a été mandatée pour réfléchir à l’élaboration d’un scénario de refonte de la fiscalité locale, afin de pourvoir à la suppression à moyen terme de la taxe d’habitation et de garantir la visibilité des ressources des différentes catégories de collectivités.
Auditionnée par la mission le 19 janvier dernier, l’AFIGESE a souhaité apporter son expertise technique sur les éléments de cadrage communiqués en amont et soumettre ses réflexions en matière de refonte de la fiscalité locale.
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Des points d’attention ou vigilance ont été soulevés
La lisibilité du dispositif pour le bloc communal
La nécessité de rendre lisible la montée en puissance du dispositif tant pour les contribuables que le bloc communal qui doit disposer d’informations individuelles détaillées dans les rôles d’imposition et les états fiscaux qui lui seront communiqués pour comprendre l’application du dispositif et en permettre le suivi.
L’éventuel mécanisme de gel des taux a posteriori
Concernant le mécanisme de « gel des taux » a posteriori mentionné dans la note de cadrage (pages 15/16), cette mesure inédite, puisqu’il s’agirait d’annuler en quelque sorte une décision prise par les exécutifs locaux, reviendrait bel et bien à supprimer le pouvoir de taux en matière de taxe d’habitation avec un effet rétroactif. Qu’en est-il du principe de libre administration des collectivités locales dans cette hypothèse ?
La préservation de l’autonomie fiscale des collectivités locales
La suppression de la taxe d’habitation nécessite de compenser le bloc communal à hauteur de la totalité de la ressource correspondante tout en conservant l’autonomie financière des collectivités locales, voire même leur autonomie fiscale.
S’agissant du bloc communal, Il est indispensable de réfléchir aux scénarios de remplacement de la taxe d’habitation sur un volume financier de 21,9 Md€ et non pas sur les seuls 8 Md€ complémentaires, induit par la suppression totale de la taxe d’habitation.
La gestion des taxes additionnelles
La note de cadrage évoque le report sur les taxes foncières et la cotisation foncière des entreprises de l’intégralité des taxes additionnelles. Cette hypothèse conduirait à une concentration importante du coût de ces taxes additionnelles sur une partie des contribuables locaux qui verraient une hausse importante de leurs cotisations, et ce alors même que certains résultats anticipés au titre de la taxe GEMAPI montrent son inadéquation entre le montant demandé à certaines entreprises contributives et l’intérêt pour elles des politiques de prévention des inondations. L’éventuelle « rebudgétisation de la TSE » ne résoudrait que très partiellement cette difficulté, loin d’être anecdotique.
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Des préconisations multiples
La nécessité de mettre en œuvre la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation
L’obsolescence des valeurs locatives des locaux d’habitation a largement alimenté les critiques à l’encontre de la taxe d’habitation en raison de l’iniquité qui en découle entre contribuables. Avec la suppression de la taxe d’habitation, il n’est pas moins nécessaire de mener à son terme, et sans délai, la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation. D’une part, il est indispensable de mettre à jour les bases d’imposition portant sur les locaux d’habitation en matière de foncier bâti et de TEOM à l’instar des bases d’imposition relatives aux locaux professionnels, dont les valeurs locatives révisées sont appliquées depuis 2017. D’autre part, l’application du coefficient de neutralisation ne pourra être levée qu’une fois la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation menée à son terme, permettant ainsi le plein effet des valeurs locatives révisées des locaux professionnels.
Compte tenu des résultats de l’expérimentation menée par la DGFIP sur cinq départements et de l’expérience acquise avec la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, il est concevable d’envisager une entrée en vigueur des valeurs locatives révisées des locaux d’habitation en 2022
Maintenir les mesures en faveur de la mobilisation du logement
Il existe, par ailleurs, des effets connexes majeurs en matière de logements avec la suppression de la taxe d’habitation. Il s’agit du devenir des mesures visant à la remise sur le marché locatif de logements que sont la majoration des résidences secondaires, la taxe sur les logements vacants (TLV) et la taxe d’habitation sur les logements vacants THLV).
Il faudrait s’attacher à préserver la taxation des logements sous occupés et mettre fin à l’effet d’aubaine sur la vacance, dans les zones tendues en matière d’accès au logement tout particulièrement.
Il pourrait être envisagé d’instituer une « taxe pour la mobilisation des logements inoccupés » qui serait le fruit de la fusion de la TLV et de la THLV. Cette taxe serait facultative, sur délibération des communes ou des EPCI à fiscalité propre, compétents en matière de politique de l’habitat et dont le produit bénéficierait aux seules collectivités locales et non pas à l’Etat qui prélève actuellement la TLV dans les zones tendues. A ce titre, il faut rappeler qu’un certain nombre de communes qui avaient mis en place la THLV, avant d’être intégrées en zone tendue, ont vu la TLV se substituer à la THLV qui a fait place à une compensation figée.
De la même manière, dans un contexte de disparition programmée de la taxe d’habitation, il est nécessaire d’étudier la mise en place le maintien d’une nouvelle taxe qui permettrait de sécuriser juridiquement les politiques de lutte contre la captation d’une partie des logements par des résidences secondaires ou des locations meublées de courte durée, qui est croissante dans les communes situées en zones tendues mais pas seulement. En effet, chaque année, des milliers de logements du parc des résidences principales disparaissent, entravant ainsi l’accès au logement pour la population résidente, déséquilibrant la vie et l’économie de quartiers ou territoires entiers, et limitant l’efficacité des outils classiques de la politique du logement. Grâce à cette taxe pour la mobilisation des logements sous-occupés, les communes des zones tendues en particulier seront dotées d’un levier réellement efficace, permettant d’adapter le niveau de taxation aux problématiques locales.
L’hypothèse de la constitution d’un nouvel impôt local étant clairement écartée, comme l’indique la mission, la refonte de la fiscalité locale doit retenir les objectifs de mise en cohérence des ressources fiscales locales avec les compétences de chaque niveau de collectivités, d’adéquation entre la dynamique des recettes fiscales et l’évolution de la dépense locale et de localisation de la base taxable au regard du niveau de proximité du service public rendu.
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Des propositions sur les scénarios de refonte de la fiscalité locale
La compensation au bloc communal de la suppression de la taxe d’habitation
L’hypothèse de la constitution d’un nouvel impôt local étant clairement écartée, comme l’indique la mission, la refonte de la fiscalité locale doit retenir les objectifs de mise en cohérence des ressources fiscales locales avec les compétences de chaque niveau de collectivités, d’adéquation entre la dynamique des recettes fiscales et l’évolution de la dépense locale et de localisation de la base taxable au regard du niveau de proximité du service public rendu.
Compte tenu de ce postulat, il peut être dessiné le scénario suivant qui conjugue le transfert de fiscalité directe locale entre niveaux de collectivités et le partage d’impôts nationaux avec les collectivités.
Pour le bloc communal :
- Transfert de la part départementale de la TFB au bloc communal : 13,8 Md€
- Transfert de la part départementale de la CVAE au bloc communal : 4,1 Md€
- Autres transferts : 4Md€
Les autres transferts pourraient concerner la part de la fiscalité locale actuellement perçue par l’Etat (en 2016, TLV : 47M€, part de TASCOM : 195M€), mais également une partie des frais de gestion (prélèvement pour bases élevées, majoration pour résidence secondaire notamment, une partie des frais de gestion qui sont élevés pour la TEOM et le versement transport alors que les moyens de la DGFIP consacrés à la fiscalité locale sont en très nette diminution).
Au niveau individuel, les conséquences de ces transferts se traduiront inévitablement par des situations très disparates. S’il peut être envisagé que l’équilibre budgétaire se fasse sur le modèle de la réforme de la taxe professionnelle (« FNGIR TH » et « DCRTH »), ceci ne saurait être indépendant d’une refonte globale des dispositifs de péréquation actuels (FPIC en particulier, mais aussi dotations d’Etat du fait du bouleversement des indicateurs de ressources) et d’une révision de principe de l’évolution des concours financiers de l’Etat, traduisant la contribution du monde local à la croissance économique nationale et évitant le recours pervers aux « variables d’ajustement » dont la DCRTP est, depuis 2017, l’exemple topique qui justifie les craintes des collectivités locales quant à la pérennité des engagements de l’Etat en matière de dotations de compensations.
Pour les départements :
Transfert de CSG pour compenser les parts départementales de TFB et de CVAE : 17,9 Md€
Maintien des IFER et des DMTO
Remettre à plat les dégrèvements et exonérations
La refonte de la fiscalité locale doit permettre de remédier à la situation actuelle qui voit l’Etat intervenir régulièrement sur l’assiette des impôts directs locaux, par la création de nouvelles exonérations (encore récemment en LFI 2018 en matière de CFE des indépendants) ou d’autres mesures, et prendre en charge une part importante de la fiscalité locale pour plus de 17Md€.
Il faut souligner que de nombreuses mesures, introduites par le législateur, ne sont pas ou peu compensées aux collectivités locales avec un coût élevé pour ces dernières.
Ainsi, il est temps de mettre un terme à cette dynamique de la part de fiscalité locale prise en charge par l’Etat et de clarifier le rôle de ce dernier et des collectivités locales en la matière.
Les collectivités locales doivent pouvoir décider pour elles-mêmes de l’ensemble des mesures d’exonération et de dégrèvement de manière autonome et en assumer la responsabilité pleine et entière. Ainsi, il faudrait conférer aux dispositifs d’exonération et de dégrèvement existants un caractère facultatif afin que les collectivités et leurs groupements puissent décider de leur suppression ou de leur maintien mais en assumant le coût financier dans sa totalité.
De cette manière, serait également résolue la question des dotations de compensation des anciennes allocations compensatrices, en voie d’extinction, dont le coût financier pour les collectivités locales n’est plus supportable.
Maintenir le lien avec l’administré local
La fiscalité directe locale revêt un enjeu démocratique majeur : conserver le lien avec l’administré local, bénéficiaire des services publics mis en œuvre par la collectivité locale.
L’impôt n’est pas seulement une ressource financière, il marque aussi un lien avec le citoyen en tant que contributeur à la charge de la collectivité. Il est important que le citoyen contribue au coût des services publics locaux en proportion de ses moyens.
Le remplacement de l’impôt local par la redevance est à écarter car elle exclurait potentiellement une partie des usagers conduisant à un renoncement au service public ; en outre, certains services publics étant gratuits par définition de la loi (l’enseignement, en particulier), on voit mal comment le lien précité pourrait s’y manifester.
Une solution pourrait consister en l’affectation d’une faible ou très faible part de l’impôt sur le revenu aux communes de résidence des contribuables, clairement mentionnée à ce titre dans les avis d’imposition ; il conviendrait évidemment de modifier la fiscalité sur ce point pour n’exonérer personne de cette contribution minimale.
Tirer la logique de ce qu’est la décentralisation
On a entendu, ici et là, qu’il était anormal que pour un même bien, un foyer fiscal acquitte des montants très distincts en fonction du territoire de résidence.
Est-il nécessaire de rappeler que dans le cadre du principe de libre administration des collectivités territoriales, les élus locaux ont le choix de faire financer les dépenses de leur collectivité, tout particulièrement l’investissement, soit sur le contribuable actuel via la fiscalité directe locale soit sur le contribuable futur en recourant à l’emprunt notamment.
Ainsi, il n’est ni anormal, ni injuste et encore moins inapproprié de ce faire ce constat de ce point de vue.
Evolution de la règle de lien entre les taux
S’agissant de la règle de lien entre les taux, sorte de bouclier fiscal dont a été assortie la taxe professionnelle, elle illustre le peu de confiance envers les élus locaux dont il était craint à l’époque que ces derniers ne fassent peser les hausses de taux uniquement sur les contribuables non électeurs (entreprises versus particuliers). Il est vrai cependant que le taux de foncier bâti est moins régulé « politiquement » (cf. les statistiques des 30 dernières années) que celui de taxe d’habitation.
Par ailleurs, l’application de la règle de lien entre les taux peut mettre en échec ou tout au moins rendre difficile la mise en œuvre du dispositif de neutralisation dans le cadre d’une fusion d’EPCI.
Dans l’hypothèse d’un transfert de la part départementale de la taxe sur le foncier bâti au bloc communal, le maintien d’une règle de lien entre les taux de foncier bâti et de cotisation foncière des entreprises pourrait être envisagé avec une progression potentielle du taux différenciée en fonction de son écart avec le taux plafond, et en tenant compte de la croissance des capacités contributives du secteur économique.
Télécharger les propositions complètes de l’AFIGESE :